Dre Christine McCusker

Directrice, Division d’allergie et d’immunologie clinique, (CUSM);Professeure agrégée, Département de pédiatrie, Université McGill
Le chercheur du mois: 
Feb 2016

En finir avec les allergies

Quand elle avait huit ans, la Dre Christine McCusker, sous l’influence de son frère, grand admirateur de l’actrice Raquel Welsh, a regardé à la télé la rediffusion du film Le voyage fantastique, sorti en 1966. Dans le film, un vaisseau miniaturisé voyage avec tout un équipage à bord dans le système sanguin affecté d’un scientifique en vue de procéder à une chirurgie qui devrait lui sauver la vie en éliminant un caillot de sang. Au point culminant du film, les anticorps du système immunitaire s’attaquent au vilain intrus et un macrophage géant engloutit le bateau.

« Que le corps puisse accomplir un tel exploit était pour moi formidable, dit-elle. L’immunologie, c’est génial! »

Et c’est ce qu’elle pense encore. Sa fascination pour le système immunitaire a conduit à un travail pionnier qui pourrait révolutionner le traitement de l’asthme et des allergies. Et même un jour, peut-être, prévenir ces maladies.

McCusker est à l’avant-garde de la recherche sur un vaccin contre l’asthme et les allergies qui s’attaquerait aux premiers stades d’une réaction allergique aux pollens, aux arachides et à toute autre substance.

Pour nourrir sa passion, elle a commencé par un baccalauréat en immunologie et microbiologie à l’Université de Toronto, et fait sa maîtrise à l’Université McMaster. Son doctorat portait sur l’immunogénétiques du système HLA, c’est à dire sur se qui se passe quand le système immunitaire ne fonctionne pas. Pendant cinq ans, elle a fait de la recherche en immunologie avant de s’inscrire à la faculté de médecine en pédiatrie.

Durant sa résidence à l’Université McGill, le chef de la Division allergie et immunologie, Bruce Mazer, mis au fait de son expérience en immunologie, l’a invitée à s’inscrire à un programme de recherche qui pourrait jumeler son expérience en immunologie à la pratique clinique ciblant les allergies et l’asthme. Les études postdoctorales qu’elle a fait dans son laboratoire lui ont permis d’échafauder les bases de ses connaissances sur le système immunitaire chez les nouveaux-nés souffrant d’allergies et d’asthme.

Aux laboratoires Meakins-Christie, à McGill, ses travaux ont démontré qu’une plus grande exposition en bas âge à un potentiel d’allergènes environnementaux favorise le développement de la tolérance chez les souris nouveaux-nés. Les environnements « propres » tendent à promouvoir les réponses allergiques à ces substances inoffensives.

Réponses normales vs réponses allergiques

Chaque jour, les humains sont exposés à des millions de microbes, particules en suspension et autres substances naturelles contenues dans notre environnement. Normalement, le système immunitaire apprend à tolérer les protéines inoffensives.

Cependant, si une protéine présente des traits suspicieux comme un motif de surface distinctif ou une croissance rapide en volume ou en nombre, le système immunitaire l’identifie comme un envahisseur dangereux et s’active à pleine vapeur.

Chez les gens qui développent des allergies, le système immunitaire méprend des protéines inoffensives et les codifie dangereuses. Au lieu de les tolérer, il fait résonner le signal d’alerte qui déclenche une réponse allergique.

Une cascade de signaux intercellulaires entre différentes cellules immunitaires coordonne rigoureusement cette réponse. McCusker et sa collègue, la Dre Elizabeth Fixman se sont demandé ce qui pourrait se passer si elles interféraient au début du processus de signalisation.

Fixman a développé un peptide inhibiteur (PI) qui interrompt le facteur de transcription appelé STAT-6 dans les lymphocytes T auxiliaires-2 (TH-2). Ces cellules immunitaires jouent un rôle clé dans la reconnaissance de nouvelles protéines environnementales. Quand une nouvelle protéine entre dans le corps, les cellules dendritiques en capturent des échantillons et les présentent aux lymphocytes TH-2 pour fin d’identification.

De fait, les lymphocytes TH-2 peuvent actionner la réponse allergique. « Elles sont une pièce maîtresse du puzzle », affirme McCusker.

Quand les souris allergiques ont été traitées au PI du STAT-6, elles n’ont développé aucun symptôme de l’asthme.

« Nous avons très bien bloqué la réponse allergique, » déclare McCusker, actuellement professeure adjointe au Département de pédiatrie, à McGill et directrice de la Division allergie et immunologie, à l’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre hospitalier de l’Université McGill, à Montréal, au Québec.

« Nos expériences subséquentes ont démontré que ce blocage pouvait être d’assez longues durées chez les souris allergiques avant que la mémoire (du système immunitaire) ne se réenclenche. »

Quand le système immunitaire rencontre une protéine familière, il se souvient de sa réponse initiale. « C’est pourquoi une fois l’allergie ou l’asthme développé, nous utilisons plutôt le terme contrôler et non guérir, explique-t-elle. Nous voulons voir si en répétant les traitements, nous pourrions vraiment configurer le système immunitaire pour qu’il prenne une autre voie. »

McCusker espère que le PI du STAT-6 puisse leurrer les lymphocytes TH-2 à baisser la garde faisant fi des faux signaux d’alerte. Ainsi, éventuellement, le signal « rien en vue » des lymphocytes co-stimulateurs du système immunitaire pourrait reprogrammer le système immunitaire à tolérer les anciens allergènes.

« Un aspect particulier du travail avec le système immunitaire, c’est que ce n’est pas une affaire figée. Ça change tout le temps. Qu’il y ait une nouvelle rencontre, il apprend et modifie sa tâche. C’est un système tourné vers l’avenir. »

Vaccin contre l’asthme pour nouveaux-nés

Le résultat de l’expérience introduisant le PI du STAT-6 chez les souris atteintes d’asthme a fait surgir une importante question : si les souris enclines à développer des allergies étaient traitées avant que leur système immunitaire n’emmagasine les souvenirs d’une intolérance, le PI du STAT-6 pourrait-il empêcher les allergènes de réveiller la réponse des lymphocytes-2?

Pour vérifier l’hypothèse, McCusker et son équipe ont traité des souris enclines aux allergies alors âgées de 3 jours avec des gouttes nasales de PI du STAT-6, une fois par jour, pendant 5 jours. Beaucoup plus tard, durant leur adolescence, les chercheurs ont exposé les souris à deux allergènes communs : l’albumine des œufs et le pollen de l’ambroisie (herbe à poux).

« Quelle que soit la façon dont on l’a fait, et quelle que soit l’intensité avec laquelle on a procédé, il a été impossible de rendre ces animaux allergiques, déclare McCusker, qui est aussi chercheure scientifique au Programme de recherche translationnelle sur les maladies respiratoires, à l’Institut de recherche du CUSM.

« Par la suite, il a été possible de démontrer que chez les souris traitées, ces allergènes ont été présentés aux lymphocytes-2 avec un profil de molécules co-stimulatrices qui ont mené à la tolérance. Fondamentalement, le système immunitaire s’est rappelé que les protéines inoffensives devraient être tolérées, » déclare-t-elle.

« On parle de processus de modulation immunitaire ou d’éducation immunitaire. »

Le traitement n’a pas complètement muselé les lymphocytes-2 parce que McCusker et ses collègues ont observé qu’il y a eu réponses immunitaires normales quand les souris ont été exposées à des microbes, comme des bactéries et des virus. En fait, la recherche a démontré que les souris enclines aux allergies traitées au PI du STAT-6 infectées avec le virus de l’influenza s’en sont tirées mieux que les animaux qui n’avaient pas été traités.

Le PI du STAT-6 reste dans l’organisme moins de 12 heures. « Nous en avons donné aux souris pendant 5 jours, et au 6e jour, il n’y en avait pas, dit-elle. Mais la mémoire y était restée. L’immunologie est extraordinaire. »

Actuellement, elle explore la réponse des souris enclines aux allergies aux allergènes de l’arachide après le traitement précoce au PI du STAT-6. Sa prochaine étape sera de déterminer si le PI du STAT-6 peut influencer les réponses immunitaires dans les échantillons sanguins provenant d’individus humains souffrant d’allergies ou d’asthme.